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APPARITION IV - REFLETS STENDHALIENS

Philippe Berthier, professeur émérite à la Sorbonne Nouvelle, spécialiste de la littérature du XIXème siècle, 2012

"Stendhal n’a jamais été photographié. Il aurait pu l’être."

 

Mais n’aurait-il pas partagé les préventions de Baudelaire à l’égard du « daguerréotype » ? L’auteur des Salons craignait que le développement de l’invention nouvelle et ses prétentions à restituer le réel ne signent à terme la disqualification de la peinture.

 

Epris de précision, Stendhal aurait sans doute apprécié les services rendus par l’objectif photographique, qui fournit des preuves indiscutables de ce qui est ou de ce qui fut. Dans leur recherche de l’exactitude topographique, pour conjurer le risque de mentir, les croquis de Vie de Henry Brulard répondent artisanalement à ce souci d’aider loyalement la mémoire.

 

Mais, dans leur fidélité même à la surface des êtres et des choses, les images laissent échapper le plus précieux : leur neutralité volontaire sacrifie le monde affectif dont elles émanent ; il s’agit paradoxalement de ne pas être ému pour dire qu’on l’a été. Craignant d’être submergé par la déferlante du souvenir, Stendhal s’astreint à des relevés quasi militaires. Comment échapper à cette déperdition ?

 

Selon Stendhal, le génie de son peintre favori, le Corrège, a été de « peindre comme dans le lointain même les figures du premier plan ». Au lieu de s’imposer de façon massive, voire agressive, le monde, en se creusant vers des horizons désirés, ménage à la rêverie des espaces infinis, mouvants, toujours renouvelés. D’où, dans ses romans, le recours à ce que Jeans Prévost a appelé une technique du flou ».

 

Elizabeth Filezac de l’Etang en a parfaitement compris la nécessité. Bougés, tremblés, subtilement embués, à la fois ici et ailleurs, ses « reflets stendhaliens » captent l’essentiel beyliste : on n’est pas du tout dans le littéral, le pittoresque et l’anecdotique, mais dans ce qui se pressent de mystère et d’absence au cœur de quelque chose qui, pourtant, indubitablement, est là.

Comme au fond des yeux féminins que Stendhal interroge inépuisablement, et dont aucune « pose » ne saurait fixer les suggestions romanesques à l’état naissant. Roland Barthes disait que la littérature, c’est décevoir le sens en même temps qu’on le pose.

La photographie, telle que la pratique Elizabeth Filezac de l’Etang, aussi.

En le « floutant » avec une rare délicatesse dans ses camaïeux de gris tendres et mélancoliques, elle a réussi la gageure de photographier l’inphotographiable Stendhal.

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APPARITION I - EPIPHANIE"S"

Jean-Louis Roux, journaliste-critique d'art, 2007

 "La mémoire est la lumière du temps"

 

Réflexion pénétrante, mais sensibilité toute de délicatesse :  Elizabeth Filezac de l’Etang s’interroge avec pertinence sur les similitudes entre la mémoire et la photographie.

C’est, au musée départemental de Saint-Antoine l’Abbaye, une exposition remarquable qui invite à la contemplation et à l’introspection.

Les peintres néo-impressionniste nous ont jadis appris ceci : que les paysages les plus ensoleillés sont les plus dépourvus de couleurs. C’est que la lumière éclaire, mais qu’elle peut aussi bien, dans son illumination, éblouir et aveugler. Les photographies d’Elizabeth Filezac de l’Etang semblent parfois sujettes à la décoloration, comme si une clarté trop brutale les avait insolées au point d’en faner les tons et d’en effacer presque les contours. La mémoire est semblable à la lumière du soleil : son surgissement brusque révèle les merveilles du monde à l’instant même où elle les anéantit.

La photographie, parce qu’elle est « écriture de la lumière », procède pareillement : elle s’inscrit dans le double mouvement de la  révélation et de l’effacement. En surexposant ses images, Elizabeth Filezac de l’Etang les condamne à l’envahissement d’une blancheur qui met à mal leur consistance. Ces formes désormais informes, rongées par la clarté, paraissent alors en voie de dissolution dans « l’opacité laiteuse de la surface », suivant le mot de l’artiste.

 

Le temps de la photo est nécessairement le temps du passé. Ces tirages au chromatisme ténu (on songe aux dessins coloriés aux crayons de couleur) parlent de la résurgence miraculeuse de ce qui a sombré dans le néant ; elles traitent de ce sentiment de remémoration bouleversant : parce que tout est là, de nouveau, mais tenu derrière une paroi transparente qui nous en interdit définitivement l’accès. La mémoire est un prodige empoisonné : elle nous rappelle pour toujours les instants qui ne seront plus jamais. C’est ainsi qu’il convient de comprendre l’intitulé de cette exposition : la photographie est effectivement une épiphanie, une apparition – la révélation d’une image sur le papier. Cette épiphanie photographique nous renvoie sans cesse à la mémoire, au passé et à la mort. C’est bien elle, du reste, la mort, qui est  (sans morbidité aucune) au cœur du travail d’Elizabeth Filezac de l’Etang. Cette dernière photographie les médaillons incrustés sur les pierres tombales, constatent les ravages du temps, lesquels ont usé ces portraits émaillés, au même train que le souvenir des défunts s’efface progressivement de la mémoire collective. Mais l’artiste ne se contente pas de cette consignation objective ; établissant la mort qui vient, elle observe la vie qui va…

 

A ces visages pâlis, la photographe oppose de superbes clichés de tiges de bambou aux ombres nettement dessinées, comme s’il lui fallait prendre acte que la végétation prolifère, quand l’humain disparaît – persistance d’une vie végétative, élémentaire, plus forte que tout Une telle dualité des impressions devant la précarité de notre condition se retrouve dans cette variation sur les visages de pierre ravinés ou défigurés. Dissoutes ou décapités, les statues se montrent déchirantes et apaisantes à la fois. Leur pathétisme se double d’une acceptation de l’inéluctable. Au final, la statue à son état originel de pierre brute ; ainsi est la nature des choses. Nous reste cependant la sidération procurée par l’image photographique, à l’instar de ces portraits flous au Polaroid : apparitions spectrales, épiphanies fantomatiques, lueurs bleutées persistant dans la nuit noire. Elizabeth Filezac de l’Etang souligne l’ambivalence de la photographie, le tremblé des émotions et la confusion des sentiments.

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APPARITION I - EPIPHANIE"S"

Gisèle Tavernier, critique d’art, 2007

Passé le temps du sang et des larmes vient celui de la mémoire. « Ils ont été ».

De stèles en monuments funéraires ornés de médaillons, l’objectif photographique barthien d’Elizabeth Filezac de l’Etang approche le mystère d’identités évanescentes. « La photo de l’être disparu vient me toucher comme les rayons différés d’une étoile. Une sorte de lien ombilical relie le corps de la chose photographiée à mon regard : la lumière quoique impalpable est bien ici un milieu charnel, une peau que je partage avec celui ou celle qui a été photographié » (Roland Barthes in « La Chambre claire »).

 

« Ils » ont expiré, mais n’ont pas rendu l’âme. Le regard d’Elizabeth Filezac de l’Etang croise ici une prunelle vive, là un sourire de faïence refusant de s’effacer. Ce « punctum » barthien – détail qui attire et « pointe » le Spectateur - laisse entrevoir au-delà subtil dont témoigne la série « Apparition I» révélant des esquisses de l’être. Nul dolorisme dans la quête de cette artiste, mais une tentative esthétique du Sublime, manifestation de la douleur au contact du sacré. Les statues millénaires de Boudhha asiatiques décapitées par des pillards, les Saintes Femmes défigurées par la lèpre du Temps font figure d’icônes universelles du martyr. Oxymoron photograhique , le cœur profond de ces « Epiphanie(s) » illumine les représentations ténébreuses de « L’Annonce faite à Marie par l’Archange Gabriel » , de « La Vierge au Rocher». Transcendant la Passion, la Lumière captée dans une nature transfigurée, annonce le retour à la vie.

 

Un soleil blanc calcine les regrets éternels de la perte de l’innocence et les blessures ineffables inscrites dans la mémoire aveuglée des jeux d’enfants de la série provençale  « Apparition II » . La grâce trompeuse de scènes de genre de Manet de ces images surexposées laisse transparaître cette douleur qui magnifie l’âme d’êtres  en  latence.

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Écritures de Élizabeth Filézac de l'Étang

Mon acte photographique est une défense contre l’oubli, un partage de la visibilité,  pour ceux qui ne sont dans la mémoire de personne. La photographie est pour moi un moyen de rendre le temps sensible, d’en donner une perception maîtrisable, un rythme à l’échelle humaine. Dans les" Apparitions", une danse silencieuse dans les bois (Séries bambous & Mémoires de pierres), sur la frontière de l’oubli et du souvenir.

Je me suis appropriée, l’espace des sous bois et toutes ces figurations de visages pour retrouver l’empreinte d’une mémoire commune, d’une familiarité oubliée, d’une douleur ensevelie, d’une joie ou d’une fierté lointaine évanouie sans laisser de traces.

Figures de la beauté, de la douleur, de l’illusion, de la poésie. 

La disparition est au rendez-vous de ces fragiles apparitions. Et pourtant, tous ne font qu’une apparition fragile.

Ici, la représentation s’efface dans le sens de l’apparition.

Des regards intériorisés, fixés là dans un espace ou le temps est suspendu entre apparition et disparition. Le peu de lumière demeure sur les souvenirs, là où l’ombre et la lumière sculptent ses espaces et son temps.

Ici des rencontres inattendues, que je surprends en flagrant délit.

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